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As above so bellow



Ce qui est au-dessus est comme ce qui est en dessous, sans doute la phrase la plus connue de la table d’émeraude, un des textes fondateurs de l’alchimie et de l’hermétisme. On connait l’alchimie dans sa forme la plus littérale et loufoque pour l’avoir vu dans moult livres, films et bandes dessinées. C’est une pseudo science, mélangeant chimie et magie, dont l’aboutissement devait être la création de la pierre philosophale, capable de transformer le plomb en or. Elle est difficile à prendre au sérieux tant qu’on ne comprend pas que son objet réel n’a rien à voir avec le métal, mais avec la transformation de l’être humain de pantin de ses pulsion en Homme réalisé, ce que l’on appelle aussi le processus d’actualisation.
Si dans sa jeunesse, et plus particulièrement lors de son passage par le banc des écoles, l’humain assez vide, et malléable, connait des mises à jour régulières ou sa vision du monde et de lui-même change en profondeur, souvent, en vieillissant il tourne en rond, ne faisant que renforcer ses préjugés et devient progressivement un vieux con.
Si on doit être honnête souvent, sur de nombreux plans on peut commencer à glisser sur la pente savonneuse de la crispation intellectuelle vers l’age de cinq ans alors que l’on a fini d’intégrer les croyances de nos parents. Il y a une petite phase de rébellion à l’adolescence, souvent stupide et mal intégrée puis on revient dans le saint girond de l’église familiale. C’est une vision terrifiante non ? Heureusement ça n’a rien d’une fatalité.
Il se trouve que la vie ne cesse de frapper à notre porte et nous enjoints de réviser nos jugements, par exemple le misogyne croisera sur son chemin moult contre exemples de l’idée qu’il se fait de la gente féminine. Autres occasions de faire quelques mises à jour : les grands évènements de la vie comme le mariage à partir duquel notre vision croise le fer sur une base régulière avec celle de notre partenaire, la venue des petits héritiers qui questionnent sans arrêt ce qui relève pour nous de l’évidence, à partir d’un certain âge on a aussi les maladies graves et l’hécatombe dans les différents cercles autour de nous qui nous amènent à reconsidérer notre place dans l’univers et le sens de notre vie.
Des occasions on en a, et pas qu’un peu, le problème c’est que souvent elles ne seront pas saisies. On s’encroutera dans une attitude défensive, je suis comme ça, c’est à prendre ou à laisser. Le monde qui autour de nous continue d’avancer nous laissera sur le carreau, dans le rôle du réac qui ne cesse de répéter : « c’était mieux avant ! »
L’obstacle numéro un à l’actualisation c’est notre addiction fondamentale, celle qui peut nous pousser à toute les contorsions mentales, à la plus grande mauvaise foi du monde pour en arriver à la conclusion qui détends : « j’ai raison. »
S’enfumer tout seul est d’une telle facilité, c’est à croire que l’homme a été fait pour ça. Nos sens captent des millions d’informations chaque seconde, largement plus que ce que notre conscient est en mesure de gérer, alors des processus automatiques trient gardent une partie et laissent couler le reste (qui sera traité par notre inconscient ou tout simplement complètement perdu) Et devinez ce que l’on garde naturellement (c’est-à-dire à moins qu’on fasse un effort conscient pour aller dans une autre direction). On retient avant tout ce qui nous valide dans nos croyances. Oui le misogyne croisera des millions de contre exemples invalidant sa croyance mais les ignorera pour retenir tous les dérapages, toutes les petites crasses que feront les femmes autour de lui et à chaque fois il pourra s’exprimer porté par la colère du juste « Tu vois, je te l’avais bien dit, toutes des Sal**** »   
L’homme en quête d’actualisation, celui qui veut vieillir comme le bon vin et non comme un sale vinaigre, se retrouve confronté à un paradoxe : comment me remettre à jour si ce qui me fait défaut c’est justement ce que je ne peux pas voir. Bonne question !
Pour les cas les plus graves, les cas où le manque d’actualisation provoque des souffrances personnelles et familiales, il peut être bon de faire appel à un professionnel qui voyant son client de l’extérieur, à l’aide d’yeux portant d’autres ornières pourra lui pointer du doigt ce qu’actuellement il ne peut voir tout seul. Il a un entrainement pour gérer ce genre de travail, un langage pour faire passer la pilule et surtout il a un rôle bien délimité sans trop de toiles d’araignées affectives. C’est toujours compliqué pour un ami ou un membre de la famille de relever les failles, la situation peut rapidement devenir explosive et destructrice.
Pour les cas plus légers, revenons à la maxime « As above, so bellow », dans le contexte qui nous intéresse on peut l’interpréter par : « ce que tu vois à l’extérieur, tu le trouveras à l’intérieur, et vice versa ». Pour explorer notre intériorité et y trouver ce qui débloque, rien de tel que de traquer à l’extérieur ce qui nous fait réagir, après tout, comme on peut le lire dans l’évangile, il est plus facile de voir la paille dans l’œil de son voisin que la poutre à l’intérieur du notre.
Toutes ces choses que l’on trouve intolérables dans le monde, tout ce qui nous fait réagir au quart de tour, appuie sur nos boutons, nos fragilités et nous guide vers ce qui débloque chez nous, vers ce qui a besoin d’être exploré.
Première réaction : mais c’est stupide, ça n’a aucun sens ! Si je m’énerve c’est que l’autre et un connard/ une ordure / un facho / un monstre, quel rapport avec moi ? (C’est une réaction naturelle, surtout si l’on sait que nous on a toujours raison !) Si on se donne la peine de chercher le monde est plein d’horreur, certaines nous feront lever un sourcil d’autres nous rendrons complètement dingue.
Une réaction émotionnelle disproportionnée peut témoigner d’un trauma passé, ce n’est pas l’objet de ce présent exposé, elle peut aussi être le fruit d’une tension lié à un refoulement. Quelque chose d’horrible à l’intérieur de notre être qu’on se plait à éviter. « Plaire » ici est un doux euphémisme, généralement la force qui tiens notre conscience à distance de cette noirceur peut être violente (comme un rejet qui tend notre corps comme un arc) ou des fois d’une mollesse très vague (on devient distrait, on « oublie » le sujet de notre inquisition et on passe à autre chose)  
Devant notre réaction disproportionné on doit se poser la question : « pourquoi je réagis comme ça ? », non pas sur une base de morale universelle, mais à un niveau intime et personnel.
  • Imaginez que le fait qu’une personne se plaigne me rende complètement dingue. Première réaction : je me dis, mais ça ne se fait pas ! Elle me les casses, c’est intolérable.
  • Ok, mais encore.
  • Mais ça ne se fait pas.
  • Ah bon pourquoi ça ?
  • C’est super irrespectueux.
  • Ah, tu ne te sens pas respecté.
  • Non, ça n’est pas exactement ça… cette noirceur, toutes ces ordures qu’elle me vide sur la tête, je n’ai pas demandé ça.
  • Ah, c’est le côté déplaisant de ce qu’elle raconte ? Si elle te racontait l’histoire et les tourments d’une autre personne tu te sentirais comment ?
  • Mmmm, ok, je vois, non c’est pas la noirceur, c’est qu’elle montre quelque chose de personnel, d’intime… d’intime mais pas miam, sexy, non elle, elle…
  • Ok personnel et rebutant
  • Et dans ta famille on se plaignait beaucoup
  • Ah, ça non, pas du tout
  • Qu’est-ce qu’ils penseraient tes parents devant cette personne qui t’énervait en se plaignant.
  • Mon père aurait dit qu’elle était faible. Que pleurnicher ne résout pas les problèmes, il faut réfléchir, trouver une stratégie pour régler le problème et agir.
  • Ok du coup tu ne plains jamais ?
  • Euh, non jamais…
  • Et quand tu es triste…
  • Oui ?
  • Quand tu es tristes, tu n’en parles pas ?
  • Non, quand je suis triste… non en fait je ne suis jamais triste, enfin, jamais, par moment je suis fatigué, peut être déprimé par la situation, mais rapidement je me donne des coups de pieds au cul et j’avance.  

Arrêtons-nous là. Ce petit dialogue intérieur n’a rien d’évident au début. On doit être deux personnes à la fois… comme si être une personne n’était pas assez compliqué comme ça ! Pour contourner la difficulté on peut passer par l’écrit, consigner sur la moitié droite des pages d’un journal intime ce qui nous agite. Puis, une fois qu’on a vidé notre sac, reprendre ce que l’on vient d’écrire en changeant de casquette, on passe du sensible, à l’analyste/ le critique et on notre nos impressions et surtout nos questions dans la partie gauche des pages. On tire un trait horizontal et de nouveau en reprenant notre casquette de personne sensible, on réagit et on répond aux questions et on continue jusqu’à avoir fait le tour de la question.
Pour revenir au contenu du dialogue, la leçon provisoire qui semble émerger de l’échange c’est qu’il y a un interdit chez moi, je n’ai pas le droit de me plaindre, pas le droit de partager ce qui me fait souffrir. Du coup à chaque fois que j’ai une pulsion de partage avec une collègue / amie / etc cette pulsion est court-circuité par l’interdit. Il y a donc tout une partie de moi qui n’a pas le droit de s’exprimer, je suis amputé.
Pour m’actualiser, le premier instinct serait d’y aller en force, de m’obliger à partager des choses, à me plaindre… on passe de la tyrannie d’une programmation parentale/sociétale/… à une nouvelle tyrannie. On croit savoir ce qui est bon pour nous, croyance qui souvent est le fruit d’autres programmations, plus récentes, mais programmation néanmoins. Non, il y a mieux à faire que de se forcer.

S’actualiser ce n’est pas comme on cherche à faire dans le développement personnel, devenir une meilleure version de nous-même, une version plus tolérable, une version plus aimable.
S’actualiser c’est avant tout savoir qui on est, voir les ficelles qui tirent nos membres, voir la manière dont mes pulsions sont vécues, et comment les voix introjectées de mes parents les bloquent. S’actualiser c’est être conscient, se voir agir jusqu’au moment où l’on se rend compte que l’on est comme le petit éléphant attaché à une chaise par une corde, on est libre de bouger. Progressivement, en étant attentif, en testant, on va découvrir quels sont les nouveaux gestes que l’on peut faire, et surtout que l’on veut faire, que l’on sent au fond de nous.

PS : là pour cet exemple la pulsion refoulée était facile à réintégrer, elle est tout à fait acceptable dans notre société moderne et dans la plus part des cercles. D’autres pulsions auront besoin d’un travail plus complexe pour être ramené des ténèbres à la lumière. Ça sera peut être l’objet d’un autre article.  

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