Accéder au contenu principal

Gender Failure



Regards croisés, éloquents et personnels de deux transsexuels sur leur genre.

Après avoir été confronté aux frictions entre les transsexuels et le reste du monde a travers l’aspect politique de la guerre des pronoms j’ai voulu m’écarter des luttes identitaires et aborder cette même problématique d’une manière plus intime. Une amie m’a conseillé « Gender Failure » le livre de Rae Spoon et Ivan E. Coyote, deux artistes nées femmes qui ont transitionné pour se retrouver dans des espaces bien à eux[1] du continuum des genre.  Merci Lison pour ce conseil, c’était exactement ce que je cherchais.

Rae Spoon est un chanteur guitariste qui après avoir œuvré dans le registre country/folk, se situe plutôt dans une veine pop/rock indé. Ivan est lui un raconteur, il le fait à travers ses romans, sa poésie, des spectacles / discours , et des articles pour des journaux queer. Le premier de constitution légère, affiche un look androgyne alors que le second, musclé et coupé court, s’incarne dans une apparence Butch (très masculine). Ils se sont rencontrés en 2007 lors d’une résidence d’artiste et de là ont monté plusieurs show ensembles. « Gender Failure », le livre, est un témoignage écrit de leur dernier spectacle en date portant le même nom. Il alterne leurs deux voix pour raconter les moments déterminants de leur quête personnelles pour se faire une place dans leur peau et dans le monde.


La question transsexuelle telle qu’elle est présentée par les médias peut être polarisante. En regardant à distance les affrontements, on peut avoir l’impression de voir un père réac et bouché à l’émeri se prendre la tête avec un de ses gosses, rebelle et vindicatif. Cherchant à faire de l’audience, les médias  vont faire débattre les spécimens les plus flamboyants et agressifs des deux camps, ou, s’ils ont des billes dans la partie, feront s’affronter un raisonnable contre un extrémiste ou un débile. Dans un cas comme dans l’autre on ne va pas dans le sens de l’écoute et de la réconciliation. Autre problème très présent dans ce genre de débats, c’est que c’est théorique et généralisant. Comment une personne peut-elle représenter une communauté quelle qu’elle soit, quand on voit la richesse des ressentis et des opinions ?

Avec Gender Failure, on a le droit à deux récits avec leurs lots de ressemblances mais aussi leur individualité propre. C’est intime, chaque auteur ne parle que pour lui-même, et le lecteur peut alors faire enfin preuve d’empathie. Curieusement en rentrant dans la particularité on peut se connecter plus facilement à l’universalité. La généralisation au final finit par être une figure à la limite de l’abstraction et un rien indigeste, elle est déshumanisante. Leur quête pour se trouver au-delà de ce que la nature leur a imposé, au-delà des codes données par la société, c’est magnifique, c’est existentiel, c’est d’une profonde humanité dans laquelle on peut tous se retrouver. Sans doute pas au même niveau que Rae et Ivan mais j’imagine qu’on a tous eu maille à partir avec notre corps, notre silhouette, notre pilosité, le fonctionnement de nos organes. On a tous fait l’expérience de la différence entre la manière dont on se voit et ce que les autres choisissent de voir en nous. On a tous à un moment ou à un autre, avec différents degrés d’intensité fait l’expérience de ne pas être reconnu, vu et entendu ,par nos parents, les institutions et même nos amis.

La communauté Queer n’est pas présentée comme un havre de paix et de tolérance dans ce livre, en fait elle n’est pas présentée du tout. Ce qui est donné à voir, ce sont des interactions personnelles à l’intérieur de cette communauté, et ça encore c’est un cadeau. Encore une fois il n’y a pas de « Ils » sont comme ceci, « Elles » sont comme cela, etc. mais pour revenir à la communauté Queer, être victime de discrimination ne rend pas nécessairement plus ouvert, certains gays ne sont pas des plus accommodants avec les trans, et du coup, ça fait toucher du doigt que, quand on est trans, juste parce qu’on se présente de manière différente, en dehors de groupes d’amis, on n'est jamais chez soi, on n’est jamais à l’aise, on est en état de siège permanent.  C’est assez magnifique et courageux d’oser être fidèle à soi-même, se présenter au monde dans une forme de nudité… c’est-à-dire sans les masques que nous offrent la conformité.   



Les pronoms
Si au niveau politique obliger les gens à se réferer aux autres par leurs pronoms choisis me semble inacceptable, abordé par la perspective intime de ‘individu et de son ressenti l’utilisation des pronoms est passionnantes. Rae et Ivan  sont né « she », sont devenus « ils », pas par un traitement hormonal et un habile bistouri, juste par un acte de volonté, et maintenant répondent au pronom « they ». L’anglais, ici, offre une possibilité intéressante. Biensûr l’utilisation du « they » peut être considéré comme une monstruosité grammaticale, mais le principe derrière est ébouriffant : je ne rentre pas dans une boite ou dans l’autre, je suis moi, juste moi.  Finalement il n’y a que ça de vrai. Cette retraite de l’identification des genres donne à penser à ce que l’on s’impose à tous pour rentrer dans notre case, ces choses qu’on se force (plus ou moins) à faire et toutes celles qu’on se refuse. Tout ça de peur de ne PARAITRE pas être assez cool, pas assez viril/féminine pas assez riche, pas assez vertueux…


La prose de ce livre est claire et agréable, facile à lire même si on ne maîtrise pas encore parfaitement l’anglais. Le lire c’est se faire un cadeau, c’est ouvrir une fenêtre là où il y avait un mur, ça offre des perspectives, et pour peu qu’il fasse noir dehors, la fenêtre se fait miroir et la richesse se fait profondeur.  






[1] Faute de mieux, dans cet article j’ai utilisé les pronoms masculin « il »,  « ils » et « eux » qui correspondent au dernier sexe auquel les deux auteurs se sont identifié avant de prendre leur retraite de l’identification des genres.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Google et la diversité

Chez Google la multinationale basée en Californie vingt pour cent des ingénieurs sont des femmes. C’est peu mais on retrouve cette proportion dans beaucoup de grandes entreprises dans ce domaine. Le géant de l’informatique s’est engagé a changer les choses au travers de son processus de recrutement comme d’intenses campagnes de sensibilisation pour faire de ses bureaux un lieu de travail où les femmes pourraient s’épanouir. Si en apparence cela semble être une démarche louable et qui va dans le sens du progrès, il semble que cette approche est en train de se retourner contre le géant californien. James Damore, un ingénieur à Google a partagé (en interne) un mémo [1] en juillet 2017 questionnant la sensibilisation au sexisme à laquelle l’entreprise soumet ses employés.   Le but était de provoquer une conversation et éviter d’être prisonnier d’une chambre d’écho où on ne pourrait entendre que la pensée unique du moment (Il préconisait de sortir d’une approche moralisante de

Mutombo, Lopvet and co, les nouveaux prophètes.

Si c’est le bouche à oreille qui m’a fait découvrir Gregory Mutombo et Franck Lopvet,   les prophètes 3.0 sur lesquels portent cet article, c’est surtout leurs vidéos   Youtube qui ont enflammé ma passion et attisé ma curiosité. Si ce que ces deux hommes pouvaient proposer était parfaitement aligné avec ce que je « croyais » déjà et donc ne présentait pas de nouveauté fondamentale, le ton, le côté intime m’a particulièrement approché. Ça… et le fait qu’ils soient tous deux clairvoyants. Quelqu’un qui sait, pas juste d’un point de vue théorique mais aussi pour en avoir fait l’expérience directe, quelqu’un qui perçoit au-delà des voiles et des apparences, quelqu’un qui pourrait d’un seul regard voir ce qui se cache derrière mes masques, et m’apprendre quelque chose que j’ignore sur mon compte, ça, ça me rend comme un enfant la veille de noël. J’ai eu l’occasion lors des vacances de la toussaint de faire un stage de 5 jours avec Franck Lopvet et au moment où j’écris cet

Saul Williams / NIN

Saul william n’était pas trop le genre d’artiste qui m’intéressait. Slamer émérite, il avait décidé de quitter le spoken word , pour déclamer sur des instrus … faire du rap quoi ! Même si il écoutait du hip hop dans sa jeunesse, il a préféré s’orienter vers des instrus étranges, rock ou éléctroniques la plus part du temps. Si j’aime bien certains morceaux de rap, c’est surtout à cause des instrus des beat, pas pour les paroles, car elles sont rarement intéressantes, voir pire une insulte à l’intelligence (remarque : comme dans beaucoup de styles musicaux d’ailleurs), à la condition féminine (quoi que je m’en tape , je suis un mec, yo ! ). Je trouve que le style rappé , est rarement porteur d’émotions, où elle se propagent dans un spectre trop restreint. Dans cet album, même si il continue ne déclamer sur certains titres, Saul williams s’essaye au chant, coup d’essai, coup de maître. J’ai fait des recherches sur internet pour les crédits des titres car je pensait que c’était quelqu’un d